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Voyages en Inde

22 juin 2014

Les chroniques de Tranquebar

Bien que je sois de retour en France depuis quelque temps déjà, je n’ai toujours pas fini d’écrire mes aventures indiennes, et cela me donne parfois l’occasion de me replonger dans des histoires savoureuses. Voici par exemple quelques chroniques d’une ville peu ordinaire, à savoir la colonie danoise de Tranquebar, sur la cote de Coromandel…

En 1618, le roi Christian IV du Danemark envoie une expedition vers Ceylan (le Sri Lanka actuel) dans l’espoir d’ouvrir une nouvelle route commerciale vers l’Inde et la Chine. L’expedition est commandée par un aristocrate de 24 ans nommé Ove Giedde, et comprend notamment un certain Prince de Migomme, aussi connu sous son nom hollandais, Marchelis de Boshouwer, qui prétend être le conseiller personnel de l’Empereur de Ceylan. En retour d’une aide militaire contre les portugais, cet Empereur serait prêt à conceder au Danemark l’exclusivité du commerce avec Ceylan.

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Le moral n’est pas bon dans la flotte d’Ove Giedde, et des signes de desertion se font sentir dès l’escale qu’elle fait en Angleterre. La situation empire au fur et à mesure de la traversée. Après avoir capturé deux navires pirates, l’amiral se plait à démontrer son autorité en amenant les prisonniers sur le pont pour les torturer ou tout simplement les executer. Le prince de Migomme est quant à lui accusé de tenter d’organiser une mutinerie, et apparait de plus en plus comme un imposteur. Quel est le sens de l’expedition si cet l’Empereur de Ceylan ne les attend pas ? Plus de 200 hommes meurent avant d’avoir passé le Cap de Bonne Espérance, et bien plus de 300 décès sont enregistrés à l’arrivée. Lorsque la flotte arrive à Ceylan, les doutes sur l’identité de de Boshouwer sont confirmés. Personne ne semble le connaitre et le roi de Kandy, dont il prétendait être le conseiller, s’est allié aux portugais trois ans auparavant. Ove Giedde négocie tout de même avec le monarque, et obtient tant bien que mal la signature d’un traité permettant aux danois de construire une fortification dérisoire dans la baie de Trinquemale, sur la cote nord-est de Ceylan.

Le gros de la flotte danoise avait été précédé par l’Øresund, un navire commandé par un aventurier hollandais du nom de Roland Crappe. Celui-ci eut tôt fait de se disputer avec les portugais présents à Ceylan, et dut se réfugier à la cour du prince de Tanjore, dans le sud-est de l’Inde. Le conflit lui couta l’Øresund et la plupart des membres de son équipage, qui furent pour certains pendus comme pirates.  Mais à Tanjore, Roland Crappe réussit à obtenir une petite région sur la cote de Coromandel, appelée Tarangambadi, la demeure des vagues. Le futur Tranquebar.

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Ove Giedde rejoint Roland Crappe à Tranquebar en octobre 1620. Un traité avec le prince de Tanjore est signé peu après, et la construction des fortifications de la ville commence. Le royaume de Danemark et de Norvège a enfin réussi à s’implanter sur le continent indien, et c’est par Tranquebar que transitera le gros du commerce du royaume avec les Indes Orientales pour les 200 ans à venir.

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La colonie n’est initialement guère plus qu’un village de pêcheurs, ne générant aucun profit pour la couronne. Roland Crappe est nommé commandant en chef des possessions danoises en Inde, et lorsqu’il revient à Tranquebar en 1623 après un court séjour à Copenhague, c’est pour constater une situation particulièrement inquiétante. Le commandant par interim de la colonie s’est en effet querellé avec le prince de Tanjore, et celui-ci assiège la ville pour une petite dispute commerciale. La dysenterie a réduit la petite communauté de 80 à 30 personnes, et Crappe doit négocier une trêve tant bien que mal.

Parmi les survivants se trouve un mousquetaire islandais du nom de Jon Olafsson, qui écrit dans son journal ce qu’il voit et entend. Il s’étonne notamment des moeurs en vigueur à la cour du prince de Tanjore : chaque jour, le prince choisit celle avec qui il passera la nuit parmi les 600 femmes que comporte son harem, et celles-ci sont toutes parfumées, parées de bijoux, de pierres précieuses et d’habits brodés d’or. Elles ont des bagues en or, des anneaux aux oreilles et au nez, des chaines d’or à la cheville, et des diadèmes incrustés de pierres précieuses. Lorsque le prince meurt, toutes ses femmes le suivent sur le bucher funéraire. Les temples possèdent aussi des femmes qui leur sont dédiées. Elles dansent avec fougue au son de gongs, de percussions et d’instruments étranges, et louent leurs services aux soldats de passage et aux hommes célibataires. Les benefices sont reversés au temple. Jon Olafsson est ecoeuré par les moeurs païennes et les superstitions des indiens, et poursuit son récit en remerciant Dieu de l’avoir fait naitre chrétien.

La Compagnie danoise des Indes Orientales est liquidée dès 1650 et Tranquebar est alors menacée par la ruine. Les dettes de la colonie sont incroyables, et le prince de Tanjore assiège la ville de temps en temps pour extorquer de l’argent aux danois. Lorsque les récoltes ne suffisent pas, des hommes et des femmes appartenant aux classes les plus pauvres sont achetés au prince de Tanjore et revendus comme esclaves en Indonésie. Il est possible d’en tirer le double du prix d’achat. Tranquebar s’agrandit, notamment grace à l’arrivée de portugais et d’indiens, mais cela n’empêche pas le commandant de se plaindre du manque de jeunes filles pour divertir les soldats.

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Avec la refondation de la Compagnie des Indes Orientales en 1670, le vent commence à tourner. Les navires danois et norvégiens s’aventurent de nouveau dans l’Océan Indien, et de l’agent commence à entrer dans les caisses. Au début du XVIIIième siècle, Tranquebar compte environ 5000 habitants, soit à peu près autant que les plus grandes villes danoises en dehors de Copenhague. Il y a près de 500 bâtiments de pierre à l’intérieur des murs, y compris des églises et des temples. Des habitations plus rudimentaires, en chaume ou en argile, sont occupées par les intouchables et les esclaves de l’autre coté des portes de la ville.

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Des missionnaires chrétiens de différentes obédiences arrivent à Tranquebar. On se souvient notamment des deux prêtres Christen Pedersen Storm et Niels Andersen Udbyneder, dont l’alcoolisme était légendaire et qui se firent connaitre par une série de violences, de viols et de meurtres. Niels fut envoyé en exil à Ceylan après la mort de deux femmes, et Christen enfermé dans un sac de pierres et noyé. D’autres missionnaires commencèrent toutefois à enseigner les Evangiles et à convertir la population, malgré les réticences d’une partie des danois. Ainsi, lorsque le roi Frederic IV décréta que les esclaves qui se convertiraient au christianisme seraient affranchis, l’élite blanche de Tranquebar protesta vivement, craignant pour ses privilèges. Il s’ensuivit des violences contre les missionnaires, et l’un deux fut notamment emprisonné sans aucune forme de procès. Mais le décret du roi fut maintenu, et les riches marchands de Tranquebar durent s’y faire.

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Les employés de la Compagnie des Indes Orientales étaient relativement peu payés en comparaison du statut dont ils auraient joui en métropole, et tous se livraient à des traffics divers ou à la contrebande en plus de leurs responsabilités dans la Compagnie. En 1752, trois navires guerre arrivent de metropole pour mettre de l’ordre dans ces pratiques et tenter d’endiguer la corruption endémique qui règne à Tranquebar. Le commandant et le capitaine de l’expedition, Jesper Reichardt et Gerhard Sievers, ont pour mandat d’enquêter puis de muter ou de virer les fonctionnaires corrompus. Les 300 soldats royaux impressionnent la foule lorsqu’ils débarquent en grande pompe, mais l’expedition est un échec. Reichardt est assassiné un mois après son arrivée, et Sievers abandonne rapidement l’idée de muter ou de virer qui que ce soit. Il écrit au Danemark qu’il y a tout simplement personne de compétent à Tranquebar.

La guerre ouverte avec le prince de Tanjore avait toujours été évitée, malgré de multiples confrontations. Mais en 1756, le capitaine Friderich Albrecht Strøbel sort de Tranquebar à la tête de 85 hommes et armé de 4 canons pour en découdre avec le responsable indien de la zone frontalière, un certain Perumal qui semble avoir l’habitude d’organiser des raids en territoire danois, de voler du bétail, et de terroriser la population. Le prince de Tanjore y voit une rupture du traité de paix, et réagit violemment. Il dépêche le général Ramalinga à la tête de 2000 cavaliers et de 2000 soldats d’infanterie bien armés, et seule l’hesitation du général face aux canons danois permet au gros des troupes de regagner Tranquebar. Les territoires entourant la colonie sont pillés, mais le prince de Tanjore ne s’attaque pas à la ville elle-même, et restitue magnanimement une partie du bétail volé après la signature d’un nouveau traité de paix.

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La corruption est toujours une réalité quotidienne à Tranquebar, ce qui n’est pas sans générer de tensions. Le 15 aout 1787, les cipayes du fort Dansborg se mettent ainsi en grève et sortent de la ville pour protester contre Suppremannia Setty, un intermédiaire commercial au service des finances de la colonie. Celui-ci était semble-t-il à la tête d’un réseau d’extorsions qui n’hésitait pas à mettre en prison les négociants rétifs, et à ne les faire sortir qu’en échange d’importantes sommes d’argent. Suppremannia est aussi d’une caste qui aurait dû l’empêcher d’obtenir un poste aussi haut placé, ce qui est tout aussi problématique pour les cipayes. Les soldats campent à l’extérieur de la ville et bloquent son approvisionnement en nourriture jusqu’à ce que Suppremannia soit mis en prison. En septembre, Suppremannia est derrière les barreaux dans le fort Dansborg, et une commission d’enquête est mise en place. Lorsque la tension s'apaise, Suppremannia sort néanmoins tranquillement de prison et retrouve son poste.

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Plus au nord, sur les rives de l’Hooghly dans le Bengale, se trouvait l’autre colonie danoise de Frederiksnagore. Après des débuts difficiles, cette colonie dirigée par le lieutenant-colonel Ole Bie connut une période faste à la fin du XVIIIième siècle. Le lieutenant-colonel, commerçant hors-pair et grand coureur de jupons, régnait en maitre absolu sur Frederiksnagore, et la Compagnie des Indes Orientales le soupçonnait de s’enrichir illégalement. Elle demanda à Tranquebar de mettre en place une commission d’enquête qui se rendit à Frederiksnagore, ce qui suscita la colère d’Ole Bie. Mais l’un des membres de la commission d’enquête originaire de Tranquebar tomba amoureux d’une des filles du lieutenant-colonel, et aida Bie à mettre en prison le responsable de la commission. De violentes bagarres s’ensuivirent dans les rues de Frederiksnagore, et la commission fut démise de son mandat. Ole Bie régna sur Frederiksnagore jusqu’à sa mort en 1805.

Le royaume du Danemark et de Norvège étant allié à la France durant les guerres napoléoniennes, Tranquebar passa sous contrôle britannique en 1808, avant d’être restitué à la couronne danoise en 1814. La dernière période danoise de la ville fut toutefois de courte durée, car la colonie fut ensuite vendue aux anglais avec Frederiksnagore en 1845, et perdit peu à peu de son importance. Si le fort Dansborg et quelques bâtiments coloniaux d’une blancheur immaculée peuvent toujours être vus aujourd’hui, le reste de la ville n’est plus qu’un grand village de pêcheurs, dont une partie fut dévastée par le violent tsunami de 2004.

J’ai retranscris ici ces quelques chroniques, parce que je ne suis pas sur qu’elles soient relatées ailleurs que sur les panneaux relativement peu lisibles du musée du fort Dansborg à Tranquebar (« Far away from Denmark », Niels Eric Boesgaard, 1974), et qu’elles permettent de se rendre compte de la vie d’une petite colonie européenne loin de sa métropole, à grand renfort d’anecdotes qui ne sont pas toujours dénuées d’humour. La corruption endémique de la Compagnie des Indes Orientales danoise n’est pas sans rappeler celle qui causa le déclin de la VOC, la Compagnie des Indes Orientales néerlandaise, l’une des plus grandes entreprises capitalistes de tous les temps, et un passage du Livre des Merveilles de Marco Polo corrobore sinon les propos de Jon Olafsson sur les danseuses sacrées des temples (les devadasis) : « Et encore vous dis qu’ils ont maintes idoles en leurs moustiers, auxquelles maintes damoiselles sont offertes […]. Chaque fois que les moines requièrent ces damoiselles de venir au moustier pour faire la fête à l’idole, elles y viennent aussitôt, et chantent, et sonnent d’instruments, et dansent et font grandes fêtes, et ces damoiselles sont en grande quantité […]. Ces damoiselles sont toutes nues, sauf qu’elles ont caché leur nature et elles chantent devant le dieu et la déesse. En effet le dieu se tient sur un autel sous un baldaquin, et la déesse se tient sur un autre autel sous un autre baldaquin. […] Une fois là, elles commencent à chanter, à danser, à sautiller, à faire la culbute et font diverses réjouissances pour mettre en joie le dieu et la déesse. […] Ces pucelles, tant qu’elles sont pucelles, ont la chair si ferme que nul ne saurait en saisir ou les pincer en quelque endroit. Pour une petite pièce de monnaie, elles permettent à un homme de les pincer autant qu’il veut. Une fois mariées, elles ont la chair très ferme, mais non point autant. Des filles comme cela, il y en a des quantités dans tout ce royaume, qui font toutes les choses que je vous ai contées. » (Le Devisement du monde, chap. 171, trad. Louis Hambis, La Découverte, 1998)


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23 décembre 2012

Temples du Sud / temples du Nord

Vue d'Europe, on a sans doute trop souvent tendance à voir l'Inde comme une unique entité culturelle, alors qu'il s'agit en réalité d'un vrai continent, avec des langues, des pratiques et des cultures radicalement différentes d'un Etat à l'autre. Notamment, les temples du sud de l'Inde n'ont rien à voir avec ceux du Nord, malgré quelques similitudes... 

Les temples du Sud de l'Inde sont d'immenses complexes entourés de plusieurs murs d'enceinte, une vraie ville dans la ville. Les plus grands d'entre eux, comme le temple de Srirangam, près de Tiruchirapalli, abritent toujours près de 50 000 habitants à l'intérieur de leurs murs. Il s'agit à la fois d'un lieu de vie, d'un lieu de culte, et d'une place forte. D'immenses gopurams surmontent les différentes entrées, ornés d'une multitude de statues de divinités hautes en couleurs. Le sanctuaire principal (garbha griha) se trouve au centre du complexe, mais sont architecture n'est pas aussi spectaculaire que les gopurams des entrées. Il se trouve en général au centre d'un vaste espace déambulatoire, où se trouvent différents sanctuaires secondaires, et n'est pas particulièrement haut (à l'exception notable des temples cholas de Thanjavur et de Gangaikondacholapuram, où le sanctuaire principal est surmonté d'un vimana). Des colonnades sont souvent accollés aux différentes enceintes et abritent aussi des sanctuaires secondaires. Les visiteurs s'y reposent, y mangent, ou y font la sieste. Une ou plusieurs grandes salles à collonades (mandapas) sont souvent dédiées aux cérémonies et aux mariages, entre l'entrée et le sanctuaire principal, séparées ou accolées au sanctuaire principal. 

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Gopuram à l'entrée du temple de Shiva Nataraja, à Chidambaram

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Décoration d'un gopuram à Kumbakonam et colonnade à Tiruchirappalli 

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Vue du temple d'Arunachaleshwara, à Tiruvannamalai, dédié à Shiva sous la forme d'un lingam de feu. On voit bien les différentes enceintes et les gopurams qui surmontent les entrées.

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Les temples du nord de l'Inde, quant à eux, se limitent en général à un unique bâtiment ponctuel, placé sur une plateforme assez élevée par rapport au sol. Il s'agit d'un bâtiment tout en en hauteur, abritant sous le même toit le sanctuaire principal (garbha griha), un étroit déambulatoire (pradakshina) et un ou plusieurs halls (mandapas). Le sanctuaire principal est surmonté d'une pointe caractéristique, appelée sikhara, et de petits temples secondaires peuvent se trouver aux coins de la plateforme. 

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Temple de Lakshmana, à Khajuraho

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Vamana temple, Khajuraho

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23 décembre 2012

Praxitèle

Depuis mon voyage en Inde, je suis particulièrement sensible à la beauté et à la finesse des statues cholas, qu'elle soient en pierre ou en bronze. La fabrication d'une icone de bronze est une entreprise hautement spirituelle, dans la mesure où il s'agit de la réalisation d'une incarnation divine. À la toute fin du processus, les yeux de la statue sont ouverts, et la divinité vient habiter sa représentation. Ces statues sont d'une beauté et d'une grace inouies. 

L'une des représentations de Shiva a particulièrement retenu mon attention, car elle me semble directement faire écho à un canon grec. Je vous laisse libre de juger...

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À gauche, Shiva Vrishabhavana (Rajaraja Museum, Thanjavur, vers 1012 après J.C.) ; à droite, Satyre au repos (copie romaine d'un original de Praxitèle du IVième siècle avant J.C., réalisée vers 130 après J.C., musée du Capitole, Rome). 

Dans cette représentation appelée Shiva Vrishabhavana, le dieu Shiva se tient dans une posture détendue, les cheveux entrelacés de serpents. Son bras droit s'appuie délicatement sur quelque chose, à savoir le taureau Nandi, son véhicule. Vrishabhavana signifie en effet "cavalier du taureau". Le taureau n'est pas visible sur l'image, mais on peut facilement le deviner. Il s'agit d'une scène bucolique, Shiva ressemblant à un jeune berger gardant l'une de ses bêtes. La femme de Shiva, Parvati, figure souvent à ses cotés. 

Cette représentation me rappelait subtilement quelque chose. Initialement je n'arrivais pas à savoir quoi, puis j'ai réalisé. Ne pensez vous pas qu'il y a là un écho direct aux satyres de Praxitèle ? 

Le satyre au repos est un type de statue particulièrement répandu dans l'Antiquité grecque et romaine, attribué au sculpteur grec Praxitèle (environ 400-326 av. J.C.). On y voit un jeune satyre s'appuyant sur un tronc d'arbre. Il a des oreilles pointues, une importante chevelure ondulée, et porte une peau de panthère sur son torse nu. Dans sa main droite on peut voir une flute. Comme pour le Shiva Vrishabhavana, la scène est particulièrement bucolique et fait penser aux bergers de Virgile. 

Il me semble évident que la réprésentation chola ait été inspirée de la statuaire grecque, mais sans doute relativement indirectement. En effet, si Alexandre le Grand parvient jusqu'à la vallée de l'Indus vers 326 avant J.C., il ne poursuit pas plus au sud du sous-continent indien. L'influence grecque est particulièrement importante dans le développement de la statuaire boudhiste du Gandhara au tout début de notre ère (Ier-IIIième siècle), et c'est tout à fait possible que c'est par le biais de cette statuaire greco-boudhiste puis de l'école de Sarnath que les types de statues grecs se soient propagés jusqu'à l'extreme sud de l'Inde... 

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À gauche, Bodhisattva (art du Gandhara, Ier-IIIième siècle après J.C., Musée Guimet, Paris) ; à droite, Buddha (école de Sarnath, Vième siècle après J.C., Sarnath Museum). Cette dernière statue du Buddha est sans doute l'une des plus belles statues que j'ai pu voir en Inde. La sérenité du visage est particulièrement impressionnante.

26 novembre 2012

Un train dans la brume

Après Tamil Ride qui tentait de rendre compte d'un trajet en bus dans le Tamil Nadu et des images de la campagne indienne prises en moto, voici quelques images d'un trajet en train au Sri Lanka... Cette fois-ci, je n'ai pas ajouté de musique, histoire de mieux rendre compte du rythme particulier de la locomotive. On se laisse emporter par les cahots réguliers du train et par le paysage brumeux qui défile. Peu à peu, la brume se dissipe et la vue se dégage. On traverse des plantations de thé, et avec l'arrivée des rayons du soleil, on va s'exposer au vent sur le marchepied des portes grandes ouvertes... 

13 juillet 2012

Ek chai please !

En Inde, on peut prendre un thé à chaque coin de rue, et le vendeur est parfois particulièrement adroit... Ecoutez en passant les bruits de la ville, en l'occurence Srirangam, près de Tiruchirapalli (Tamil Nadu). 

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22 juin 2012

Tamil Ride

La musique que j'ai utilisée dans cette vidéo est celle du film tamoul 7aam Arivu (dont vous pouvez voir la bande annonce ici) : la manière de chanter me semblait être typiquement tamoule*, et c'est le genre de musique qui accompagne souvent les trajets en bus dans le Tamil Nadu. Le conducteur ne met pas toujours de la musique, mais quand il le fait le son est à fond, donc difficile d'y échapper ! 

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* Note : ce qui me parait typiquement tamoul dans la manière de chanter, c'est la modulation de la voix et le changement de tonalité à 03:35. S'agit-il bien d'un changement de tonalité pour la cadence ? Je serais curieux d'avoir l'avis de musicologues sur la question ! 

11 juin 2012

Kumbakonam

Kumbakonam est une ville du Tamil Nadu comprenant un nombre impressionnant de temples. Ceux-ci remontent parfois jusqu'à la dynastie des Cholas ou de leurs successeurs, les Nayaks, mais ont souvent été rénovés depuis. Le temple de Nageshwara, par exemple, fut construit au IXième siècle et est dédié à Shiva Nagaraja, c'est-à-dire seigneur des serpents. Le sanctuaire central est la partie la plus ancienne, et il est orné de statues absolument magnifiques. Je trouve qu'on reconnait dans la sérénité et la finesse des visages l'influence du bouddhisme et de l'école de Sarnath (dont l'apogée se situe entre le IVième et le VIième siècle).

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 Le gopuram de ce temple (la grande entrée ornée de statues) est plus récente, et un détail a attiré mon attention : celui-ci est orné de scènes érotiques, mais celles-ci ont été "cachées" par les couches de peintures ultérieures. Lorsqu'on ne fait pas attention, on ne voit pas la nudité explicite des personnages et ce qu'ils sont en train de faire... Les couleurs vives des statues du gopuram peuvent paraître un peu kitsch, mais c'est ainsi que devaient être les temples initialement, et il ne faut pas oublier non plus que c'est ainsi qu'était aussi peinte Notre Dame de Paris... 

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Pour des photos supplémentaires, vous pouvez consulter mon album photo ou le site d'Adrien, avec qui j'étais là bas. 

9 juin 2012

Les grands temples cholas

L'Empire Chola se développa dans le sud de l'Inde autour des vallées fertiles de la rivière Cauvery, dans le Tamil Nadu actuel, et connu son apogée du IXième au XIième siècle après JC. À cette époque, l'empire s'étend du Sri Lanka actuel jusqu'à la vallée du Gange, en passant par les Maldives et la plus grande partie de l'Inde du sud, mais sa sphère d'influence comprend les îles de Java et de Sumatra ainsi que le Cambodge et la Thailande actuelles (influence visible dans les temples d'Angkor au Cambodge, ou avec l'importance des épopées indiennes comme le Ramayana dans la culture indonésienne). 

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Il s'agissait d'un empire centralisé et particulièrement bien administré, s'appuyant sur sa force navale et le commerce avec le reste de l'Asie. Thanjavur en est la capitale du IXième au XIième siècle, et laisse ensuite cette place à Gangaikondacholapuram, jusqu'à l'effondrement de l'empire chola au XIIIième siècle. Gangaikondacholapuram fut construite au début du XIième siècle par Rajendra Chola et son nom signifie la ville du chola qui ramena l'eau du Gange, commémorant ainsi les expéditions militaires du souverain chola jusqu'au nord de l'Inde. Les souverains cholas étaient de pieux shivaistes, et ils érigèrent d'imposants temples (notamment à l'occasion de victoires militaires), comme ceux de Brihadesvara à Thanjavur et à Gangaikondacholapuram, ou le temple d'Airavatesvara à Darasuram - tous trois dédiés à Shiva et inscrits au patrimoine mondial de l'UNESCO. Ces temples sont ornés de sculptures particulièrement belles et fines, et on peut aussi y voir de magnifiques statues en bronze des divinités. La sculpture et la font du bronze connaissent en effet une periode particulièrement prolifique sous les cholas, tout comme la littérature et la peinture. Des grands temples cholas, ce sont surtout les statues en pierre et en bronze que je retiens, car j'en ai vraiment rarement vu d'aussi belles et d'aussi fines... 

Le temple de Brihadisvara à Thanjavur

Ce temple fut construit entre 1003 et 1010 après JC et possède un vimana (tour surplombant le sanctuaire central) de plus de 70 m de haut. Les temples du sud de l'Inde s'organisent selon plusieurs enceintes successives, le sanctuaire principal se trouvant tout au centre. L'entrée de ces différentes enceintes est en général surplombée d'un haut gopuram orné de statues, mais c'est ici plus le vimana qui retient l'attention et domine l'ensemble du temple. Les entrées sont plus modestes que les temples plus tardifs.

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À l'époque, un temple n'était pas qu'un lieu de culte, et c'était là que se concentrait une grande partie de la vie économique de la ville, avec des ateliers, des magasins et même des endroits où loger les différentes personnes vivant dans le temple. En plus des brahmanes assurant le culte, le temple de Brihadisvara abritait ainsi quelques centaines de danseuses sacrées (devadâsîs). Celles ci étaient à la fois courtisanes et danseuses, initiées aux différents arts - dont l'érotique -, et constituaient une forme terrestre des apsaras et des surasundaris, les danseuses celestes et les servantes des dieux. Il était dit qu'il y avait dans un temple autant de danseuses que de piliers, et les inscriptions du temple de Brihadisvara font ainsi état de 400 danseuses. L'imagerie des temples du sud de l'Inde regorgent de représentations de ces danseuses, avec notamment souvent une énumération des différentes positions du Bharata Natyam à l'entrée du temple, sous le gopuram, et sur les piliers des galeries entourant le sanctuaire. 

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Représentation d'une danseuse sur un pilier, ici à Darasuram

Le sanctuaire principal du temple est particulièrement travaillé, et c'est sous le vimana que l'on trouve les plus belles sculptures : essentiellement differentes représentations de Shiva, mais aussi d'autres divinités. 

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À gauche : Saraswati, assise sur un lotus et tenant les védas dans sa main gauche ; à droite : le couple divin, Shiva et Parvati.  

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À gauche : Shiva Nataraja, le seigneur de la danse, représentant l'énergie créatrice et destructrice ainsi que l'équilibre du monde (une jambe levée, le corps en équilibre sur l'autre). À droite : Parvati enserrant un lingam, le symbole phallique de son époux Shiva.

Le temple de Brihadisvara à Gangaikondacholapuram

C'est après avoir établi son empire du Sri Lanka aux rives du Gange que l'empereur Rajendra Ier (qui regna de 1018 à 1054 A.D.) fonda sa nouvelle capitale, Gangaikondacholapuram ("la ville du chola qui ramena l'eau du Gange"), et de l'eau du gange fut versée dans l'un des bassins de la ville. Mais ce qui fut la capitale d'un vaste empire n'est plus aujoud'hui qu'un petit village dominé par un grand temple dédié à Shiva. Une statue de Nandi fait face au sanctuaire, comme c'est le cas dans la plupart des temples dédiés à ce dieu, mais elle est ici particulièrement grande. Chaque dieu a une monture qui lui sert de véhicule (vahana), et dans le cas de Shiva, il s'agit d'un taureau blanc nommé Nandi, qui est en général représenté couché. Pour information, le véhicule de Vishnu est l'aigle Garuda, et celui de Ganesh, une souris : ironie de l'hindouisme qui fait qu'un élephant se meut à dos de souris... 

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Ici encore, le sanctuaire principal est entouré de statues d'une grande finesse : encore des représentations de Shiva ainsi que d'autres divinités. De manière générale, les représentations des dieux sont assez codifiées, et j'aime bien le jeu qui consiste à tenter de deviner le dieu auquel on a affaire... 

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Saraswati à gauche, Lakshmi à droite. Toutes deux sont assises sur un lotus, mais Saraswati tient un chapelet (symbole de méditation) et un pot contenant de l'eau sacrée (créativité et de purification), tandis que Lakshmi a des lotus dans les mains (symboles de fertilité mais aussi référence à l'épisode cosmologique du barratage de la mer de lait, où elle sort de l'eau avec un lotus dans la main) et est entourée de deux éléphants symbolisant la chance (on devine leurs pattes en haut de la photo). Ces deux statues se trouvent dans des niches situées de part et d'autre du sanctuaire principal, Lakshmi au sud, Saraswati au nord.

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À gauche : Chandesanugraha murti - Shiva, assis à coté de son épouse Parvati, dépose une guirlande de fleurs sur la tete de Chandesha, l'un des 63 saints shivaites. À droite : Shiva Gangadhara, c'est-à-dire Shiva recevant la déesse Ganga dans ses cheveux. Celle-ci menacait en effet la terre par ses flots tumultueux, et Shiva se chargea de calmer l'ardeur de ses flots en la retenant dans ses cheveux. On devine Ganga en haut à gauche. Dans cette représentation, Shiva se tourne vers Parvati pour la rassurer dans un beau geste d'appaisement : Parvati voit en effet d'un assez mauvais oeil qu'une autre femme se retrouve aussi proche de son époux... 

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Brahma à gauche, Vishnu à droite. Brahma a quatre têtes et quatres bras, chaque tête récitant l'un des védas et chaque bras représentant l'une des quatres directions cardinales. Il porte ici une conque (symbole de la Création et du son primordial), un sceptre, une fleche (il a parfois aussi un arc), un chapelet représentant le temps qui s'écoule éternellement et de manière cyclique (ou peut être plutot un noeud coulant servant à capturer l'erreur), et une feuille de lotus, symbolisant la nature et l'essence de toute vie dans l'Univers. Vishnu porte lui aussi une conque, et dans l'autre main un disque, qui peut à la fois être une arme et un symbole d'autorité aux symboliques multiples (structure de l'Univers et de l'individu, référence au soleil, au temps, etc). 

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D'un coté, le couple Shiva-Parvati, de l'autre Parvati seule s'appuie sur le taureau Nandi. Dans la première représentation, Shiva tient sa hache dans la main droite (cette hache de guerre détruit désir et attachement - il ne faut pas oublier que Shiva, s'il sait apprécier les plaisirs de la chair, est aussi un yogi menant une vie isolée en haut du mont Kailash) et on peut voir au dessus de sa tête l'arme ultime de ce dieu destructeur : une bombe atomique...

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Le temple d'Airavatesvara à Darasuram

Le troisième et dernier des "Great living chola temples" inscrits au patrimoine mondial de l'UNESCO est un peu plus petit que les deux précedents, mais ses statues sont tout aussi belles. 

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Shiva à l'intérieur du lingam : on peut voir Vishnu et Brahma cherchant infructueusement à déterminer les limites du lingam - Vishnu en bas sous la forme d'un sanglier et Brahma transformé en oie en haut. 

Pour plus de détails, vous pouvez consulter le blog d'Adrien, avec qui j'étais lors des visites de ces temples : 
 - Thanjavur
 - Gangaikondacholapuram
 - Darasuram 

20 février 2012

Natyanjali Dance Festival

Voici quelques unes des danses que j'ai pu voir au festival de danse qui avait lieu cette semaine à Chidambaram (Tamil Nadu). Il s'agissait d'un festival en l'honneur de Shiva Nataja (seigneur de la danse), à l'occasion de la fête de Maha Shivatri. Lorsqu'il danse, Shiva peut tout aussi bien créer le monde que le détruire. Sa danse symbolise les cycles cosmiques de destruction et de création : destructions et créations successives du monde, morts et reincarnations des hommes. Dans la philosophie hindoue, la destruction semble en effet être indissociable de toute création, et la danse de Shiva représente l'energie nécessaire aux transformations continuelles de l'univers et à son existence même : lorsque Shiva s'arrete de danser, l'univers cesse d'exister. Shiva Nataraja est souvent représenté entouré de flammes, qui représentent l'énergie cosmique émanant de sa danse. Il tient dans l'une de ses main un tambourin rappelant le premier son de la création, une langue de feu qui symbolise la destruction, et il écrase d'un pied le démon de l'ignorance. Son visage est calme et détaché malgré l'énergie qui émane de lui.

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 La danse de Shiva est parfois comparée à la danse des particules élémentaires en physique, et c'est pour cette raison qu'une statue de Shiva Nataraja se trouve devant le CERN, à Genève. Le physicien Fritjof Capra écrit ainsi : "According to quantum field theory, the dance of creation and destruction is the basis of the very existence of matter. Modern physics has thus revealed that every subatomic particle not only performs an energy dance, but also is an energy dance; a pulsating process of creation and destruction. For the modern physicists then, Shiva’s dance is the dance of subatomic matter, the basis of all existence and of all natural phenomena.”

À  Chidambaram se trouve le principal temple en l'honneur de Shiva Nataraja, d'où l'annuel festival de danse qui y a lieu. Les danses se succèdent durant toute la première nuit, puis tous les soirs pendant cinq jours. Des petits groupes de Bharata Natyam viennent aussi danser devant le sanctuaire principal du temple, où se trouve une statue en bronze de Shiva Nataraja. Il s'agit essentiellement de Bharata Natyam, dans la mesure où le culte de Shiva est principalement important dans le sud de l'Inde, mais il y a aussi d'autres formes de danse. Voici un aperçu des différentes danses que j'ai pu voir durant les deux premiers jours du festival. 

20 février 2012

Tamil cinema !

Muppozhudhum Un Karpanaigal

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